Droit des sociétés – pactes d’actionnaires : les précautions à prendre sur la rédaction des clauses dites de « bad Leaver »

I- Le mécanisme en cause

Il arrive fréquemment que des salariés ou des mandataires soient également associés d’une société et concluent dans ce cadre un pacte d’associés.

Les pactes prévoient généralement, entre autres dispositions concernant la maîtrise du capital, que ces personnes s’engagent irrévocablement, dans le cadre d’une promesse unilatérale de vente, à céder leurs titres en cas de cessation de leurs fonctions au sein de la société ou du groupe de sociétés.

Le pacte d’associés fait parfois varier les modalités de détermination du prix en fonction des circonstances de la cessation du contrat de travail ou du mandat social.

Le pacte distingue alors selon que l’associé est dans une situation de « good leaver » ou de « bad leaver », voire de « medium leaver » et institue une décote sur le prix de cession des titres pour les bad leaver.

 

II- Une décision de la cour de cassation qui confirme la validité des clauses de bad leaver mais qui laisse une part de doute

La validité de telles clauses a été reconnue par la chambre commerciale de la cour de cassation pour les dirigeants mandataires sociaux (cass. Com 3 février 2015) puis pour les salariés (cass.com 7 juin 2016, n° 14-17.978 rendu après avis de la chambre sociale).

Ce dernier arrêt laisse néanmoins planer un doute compte tenu de sa formulation.

En effet, la salariée concernée soutenait que la clause de bad leaver constituait une sanction pécuniaire prohibée par l’article L. 1331-2 du code du travail.

La cour de cassation retient que la clause « ne s’analyse pas en une sanction pécuniaire prohibée, en ce qu’elle ne vise pas à sanctionner un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif dès lors qu’elle s’applique également dans toutes les hypothèses de licenciement autre que disciplinaire ».

Si on se fie à la rédaction de cet arrêt, la licéité de clauses de bad leaver pourrait être remise en cause en cas de mécanisme de décote visant la seule hypothèse d’un licenciement pour motif disciplinaire ou aggravant la décote dans cette hypothèse.

 

III- Une solution alternative : le vesting

Par prudence et dans l’attente de précisions de la cour de cassation, on pourra préférer à une clause de good ou de bad leaver une promesse instituant un mécanisme de décote selon le principe de « vesting », c’est-à-dire avec une décote qui décroit dans le temps, quel que soit le motif de la cessation des fonctions.

Par exemple, sur une période de vesting de cinq ans, il est possible de prévoir une décote de 80% la première année, 60% la seconde et ainsi de suite jusqu’au terme de la cinquième année.

Par l’intermédiaire de cette clause, on s’intéresse donc uniquement à la contribution (que l’on suppose positive !) que l’associé a apporté au développement de la société dans la durée, et pas aux circonstances de son départ.

Une telle disposition peut permettre d’éviter des situations de blocage et/ou de nourrir le contentieux.

 

IV- Les précautions à prendre

En toute hypothèse, il convient de veiller aux risques que fait peser la nouvelle forme de violence sanctionnée par l’article 1143 du code civil aux termes duquel : « une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif. »

En effet, il pourrait être soutenu qu’un salarié concluant un pacte d’associé avec un actionnaire majoritaire soit dans un état de dépendance et que l’avantage manifestement excessif résulte d’une clause de bad leaver instituant une décote très importante.

Par ailleurs, les associés évincés à vil prix pourraient également exciper du nouvel article 1169 du code civil qui prévoit que : « un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire. »

Afin d’éviter ces écueils, il convient d’éviter des clauses pouvoir aboutir à une réduction trop drastique du prix ou à un prix dérisoire sans proportion avec la valeur réelle des titres. L’introduction d’un prix plancher (par exemple le prix de souscription ou un prix marché si celui-ci est inférieur audit prix d’acquisition) peut à cet égard être une mesure utile et saine.

Conclusion :

La détermination des modalités de détermination du prix de cession est un exercice subtil.

Il convient en tout état de cause de conserver une certaine mesure et d’adapter les solutions proposées selon les circonstances et les autres dispositions prévues au pacte.