Démembrement de l’immobilier et évaluation de l’usufruit : CE 30 septembre 2019

Deux arrêts importants et inédits ont été rendus par le Conseil d’Etat le 30 septembre dernier concernant la méthode d’évaluation d’un usufruit conclu pour une durée fixe.

1.   Intérêts et enjeux de la cession d’usufruit de parts de société civile immobilière semi-transparente

Il convient tout d’abord de rappeler l’intérêt d’une cession de l’usufruit des parts sociales d’une société civile immobilière non soumise à l’impôt sur les sociétés au profit de la société d’exploitation, qui est par hypothèse soumise à l’impôt sur les sociétés (IS).

Ce montage permet de « vivre à l’impôt sur les sociétés et de mourir à l’impôt sur le revenu », c’est-à-dire de bénéficier du régime de l’impôt sur les sociétés pendant la durée de l’usufruit (avec notamment la possibilité d’amortir le bien, ce qui diminue sensiblement la charge fiscale), puis au terme de l’usufruit, en cas de vente, de pouvoir bénéficier des abattements pour durée de détention applicable en matière de plus-value immobilière des particuliers.

La principale problématique de ce montage réside dans l’évaluation de l’usufruit lors du démembrement, avec 2 enjeux à la clé :

  • Le produit constaté ou la valeur vénale de l’usufruit lors de sa cession est taxé entre les mains du ou des cédant(s) selon les règles des revenus fonciers depuis l’introduction le 1er janvier 2013 de l’article 13.5 du Code Général des impôts ;
  • L’actif net de la société ayant acquis l’usufruit peut être rehaussé si la valeur retenue pour la réalisation de l’opération est inférieure à la valeur vénale de l’usufruit et, ce qui occasionne un redressement en matière d’impôt sur les sociétés.

2.   De la bonne méthode d’évaluation de l’usufruit

Dans l’affaire visée par l’arrêt du Conseil d’Etat, le contribuable avait évalué l’usufruit en appliquant purement et simplement le barème de l’article 669 II du Code Général des Impôts en retenant une valeur de 46% de la valeur de la pleine propriété pour une durée de 20 ans.

La société ayant été constituée avec un capital de 1.000 euros, l’usufruit avait donc été évalué à 460 euros.

Dans un arrêt du 15 janvier 2018, la Cour Administrative d’Appel de NANTES avait donné raison à l’administration qui avait retenu une valorisation de 633 k€ en prenant pour base du calcul d’actualisation un loyer net de certaines charges (intérêts d’emprunt, assurances, taxe foncière, impôt sur les sociétés théorique, à l’exception notable du remboursement du capital de l’emprunt).

La Cour Administrative d’Appel avait notamment énoncé que ne pouvait être pris en compte le résultat comptable distribuable et la situation de trésorerie disponible.

Le Conseil d’Etat annule l’arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Nantes en rappelant qu’en cas de démembrement de droits sociaux, « l’usufruitier, conformément à l’article 582 du code civil qui lui accorde la jouissance de toute espèce de fruits, n’a droit qu’aux dividendes distribués ».

 Les juges en concluent que la méthode d’évaluation basée sur les résultats imposables prévisionnels de la société retenue par l’administration est irrégulière, la valeur de l’usufruit ne devant être évaluée que sur la base des distributions prévisionnelles.

Cet arrêt nous semble plus conforme à la réalité juridique et économique du démembrement portant sur des parts sociales.

Il n’en demeure pas moins indispensable de se livrer à une évaluation économique cohérente de l’usufruit des parts sociales.

Ainsi, le contribuable concerné par cette affaire devra certainement faire face à une imposition supplémentaire même si elle sera réduite par rapport à celle ressortant du premier arrêt de la Cour Administrative d’Appel, dans la mesure où la méthode retenue par le contribuable aboutissait à un prix manifestement dérisoire.

La contestation portant sur l’évaluation des droits démembrés devrait nourrir un contentieux important dans les années à venir, l’administration fiscale disposant là d’un motif de redressement plus évident que celui fondé sur l’existence d’un supposé abus de droit.

3.   Une opération en principe exempte d’abus de droit….au moins jusqu’au 1er janvier 2020

La même Cour d’Appel, dans un arrêt du 31 mai 2018 a ainsi écarté l’abus de droit tant au regard de la fictivité que du but exclusivement fiscal dans une affaire où la cession de l’usufruit portait sur le bien immobilier et non sur les parts sociales, en considérant que la cession avait produit « des effets économiques et juridiques distincts de la signature ou la poursuite d’un contrat de bail… ».

Néanmoins, pour les actes réalisés à compter du 1er janvier 2020, rappelons qu’un abus de droit pourra être reconnu dans le cadre de montages ayant un but non plus seulement « exclusivement » mais également « principalement » fiscal.

Il sera nécessaire dans ce cadre de prêter une attention redoublée à la caractérisation de la substance économique et des effets juridiques des opérations mises en œuvre.

Pierre GAUCHARDDaisy MARTINEZ

Avocats