Revirement de jurisprudence : le dépôt d’une marque n’est pas un acte de contrefaçon

Revirement de jurisprudence en matière de droit des marques : la seule demande d’enregistrement d’un signe, à titre de marque, ne constitue plus un acte de contrefaçon

Dans deux arrêts en date du 13 octobre 2021[1], n°19-20.504, la Cour de cassation rompt avec sa jurisprudence en jugeant que la demande d’enregistrement d’un signe en tant que marque ne constitue pas un acte de contrefaçon au motif que ladite demande, « même lorsqu’elle est accueillie, ne caractérise pas un usage pour des produits ou des services, au sens de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), en l’absence de tout début de commercialisation de produits ou services sous le signe.

De même, en pareil cas, aucun risque de confusion dans l’esprit du public et, par conséquent, aucune atteinte à la fonction essentielle d’indication d’origine de la marque, ne sont susceptibles de se produire. »

Autrement dit, le seul dépôt d’une marque ne peut plus constituer un acte de contrefaçon de marque.

La Cour de Cassation s’aligne ainsi, enfin, sur la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE).

En effet, la CJUE, dans un arrêt du 12 juin 2008[2], avait déjà précisé que le titulaire d’une marque enregistrée ne pouvait interdire à un tiers l’usage d’un signe identique à sa marque que si quatre conditions étaient réunies :

  • Un usage dans la vie des affaires, c’est-à-dire qui « se situe dans le contexte d’une activité commerciale visant un avantage économique et non dans le domaine privé» (CJCE 12 nov. 2002, no C-206/01, Arsenal Football Club) ;
  • Un usage effectué sans le consentement du titulaire de la marque ;
  • Un usage pour des produits ou services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ;
  • Un usage qui porte atteinte à une des fonctions de la marque, sachant que sa fonction essentielle est de garantir aux consommateurs la provenance du produit/service.

Or, initialement et de façon constante, selon les juridictions nationales françaises le dépôt à titre de marque d’un signe constituait à lui seul un acte de contrefaçon, indépendamment de son exploitation (en ce sens voir par exemple : Cass, com, 26 nov. 2003, n° 01-11.784) et justifiait à lui « seul l’allocation de dommages-intérêts, peu important (…) l’absence d’usage dans la vie des affaires de la marque contrefaisante ».[3]

Dans l’arrêt examiné, la chambre commerciale de la Cour de cassation opère donc un revirement de jurisprudence en s’alignant sur la position de la CJUE et notamment sa décision Daimler en date du 3 mars 2016.[4]

Elle retient que la demande d’enregistrement d’un signe, à titre de marque, ne constitue pas un acte de contrefaçon dans la mesure où elle ne caractérise pas [encore] un usage pour des produits ou des services, en l’absence de tout début de commercialisation, et ne cause aucun risque de confusion dans l’esprit du public et, par conséquent, aucune atteinte à la fonction essentielle d’indication d’origine de la marque.

Ainsi, un demandeur, dans une action contentieuse, ne pourra plus solliciter – ou sera du moins mal fondé – à demander une réparation spécifique en raison du simple dépôt par le défendeur d’une marque qui serait de nature à porter atteinte aux droits afférents à la marque antérieure.

Notre cabinet reste disponible pour toute question et peut vous accompagner sur l’ensemble de vos problématiques en droit des affaires.

 

Morgane LE LUHERNE – Jérémy SIMON 

Avocats

[1] Com. 13 octobre 2021, n°19-20.504 et 19-20.959

[2] CJUE, 12 juin 2008, aff. C-533/06

[3] Com. 21 février 2012, n°11-11.752

[4] CJUE, 3 mars 2016, aff. C-179/15, Daimler AG

Marque NEYMAR et confirmation de la nullité de l’enregistrement par un tiers

Morgane Le Luherne - Avocat Nantes

Déposer une marque implique de ne pas agir de mauvaise foi.

Le 17 décembre 2012 un résidant portugais demande auprès de l’EUIPO (l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle) d’enregistrer la marque « NEYMAR » en particulier, pour des vêtements. La marque est enregistrée en avril 2013. Après avoir eu connaissance de cet enregistrement, Neymar Junior demande, auprès de l’EUIPO, la nullité de cet enregistrement en février 2016, laquelle est accueillie.

Le déposant portugais introduit alors un recours en annulation, contre cette décision de l’EUIPO, devant le Tribunal de l’Union Européenne.

Par son arrêt du 14 mai 2019[1], le Tribunal confirme cette annulation au motif que le déposant a agi de mauvaise foi[2], cette notion se rapportant à « une motivation subjective de la personne présentant une demande d’enregistrement de marque, à savoir une intention malhonnête ou un autre motif dommageable. Elle implique un comportement s’écartant des principes reconnus comme étant ceux entourant un comportement éthique ou des usages honnêtes en matière industrielles ou commerciale. »[3]

En effet, le déposant portugais soutenait qu’à la date du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque, il ignorait que Neymar Junior était « une étoile montante du football dont le talent était internationalement reconnu » (Rappelons qu’à cette date Neymar jouait au Brésil et arrivera en Europe avec son transfert au FC Barcelone en 2013). Le Tribunal, afin de rejeter cet argument,  relève – de la même manière que l’EUIPO – que les éléments produits démontraient que Neymar était déjà connu en Europe à la date de la demande d’enregistrement de la marque.

La mauvaise foi était d’autant plus caractérisée que le déposant portugais avait déposé, le même jour, une demande d’enregistrement de la marque « IKER CASILLAS ». Manifestement le déposant n’avait pas qu’une connaissance limitée du football. La tentative de ce dernier de faire valoir qu’il avait choisi le signe « NEYMAR » en raison de la phonétique du mot et non pour faire référence au footballeur semblait bien vaine.

Le Tribunal écarte donc l’argument selon lequel ce choix aurait découlé d’une simple coïncidence.

Cet arrêt est aussi l’occasion de rappeler que l’enregistrement d’un signe en tant que marque, auprès d’un organisme de propriété intellectuelle (EUIPO, INPI, OMPI), et l’obtention d’un certificat d’enregistrement n’ont pas pour conséquence de faire acquérir au signe les caractéristiques de validité d’une marque.

Ce n’est pas parce qu’une marque est déposée et enregistrée qu’elle est pour autant valable et protégeable. La marque doit, en effet, pour être valable, être distinctive, disponible licite et non déceptive.

Le Cabinet peut vous accompagner dans le cadre de vos besoins en matière de propriété intellectuelle.

 

[1] Affaire Moreira T-.795/17 du 14 mai 2019

[2] Article 52 §1 sous b) du règlement européen n°207/2009, abrogé et remplacé par le Règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne

[3] T-795/17, §23

Brève : Droit des marques

Quand le référencement d’un modèle de canapés devient une contrefaçon de marque.

L’utilisation du terme « Karawan » par la société Roche Bobois pour désigner une gamme de canapés, sur les présentoirs, catalogues diffusés auprès du public ainsi que sur Google, ne permettait pas d’assurer un simple référencement mais bien de distinguer et d’individualiser les produits Roche Bobois auprès du consommateur. La Cour de Cassation a ainsi approuvé la Cour d’appel[1]d’avoir condamné Roche Bobois pour contrefaçon de la marque « Caravane » détenue par la société Caravane.

Cass.com 23 janvier 2019, n°17.18.693

[1] CA Paris 24 mars 2017, n°16/04919