
Le 5 mars 2025, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a rendu un arrêt (n° 107 FS-B, pourvoi n° 23-22.267), rejetant le recours de la Caisse d’épargne Ile-de-France et de la Société générale contre un arrêt de la cour d’appel de Versailles validant un plan de redressement. Cette décision apporte des éclaircissements sur l’application des règles de priorité et du meilleur intérêt des créanciers dans le cadre de l’adoption d’un plan de redressement judiciaire avec constitution de classes de parties affectées.
1. Les faits à l’origine du litige
La société Unhycos, placée en redressement judiciaire le 4 octobre 2021, a fait l’objet d’une proposition de plan de redressement, avec constitution de classes de parties affectées. Parmi celles-ci, les banques, regroupées dans une classe dissidente, se sont vues imposer une réduction de leurs créances à hauteur de 86 %, tandis que d’autres classes, comme celle des crédits-bailleurs, étaient intégralement payées.
Les banques ont contesté cette décision devant la cour d’appel de Versailles, invoquant la violation des règles de priorité absolue et du meilleur intérêt des créanciers.
2. Décision de la Cour
Les banques reprochaient à la cour d’appel d’avoir validé le plan alors qu’aucune demande expresse de dérogation à la règle de priorité absolue n’avait été formulée, et que leur traitement était moins favorable que celui de classes de créanciers inférieures. Elles invoquaient également une violation du principe du meilleur intérêt des créanciers, estimant que leur situation aurait été meilleure dans un scénario de liquidation ou de cession de l’entreprise.
La Cour de cassation a rejeté ces arguments en posant les principes suivants :
- Possibilité implicite de dérogation à la priorité absolue : L’absence de demande expresse de dérogation à la priorité absolue ne fait pas obstacle à son application implicite si l’administrateur judiciaire présente le plan avec l’accord du débiteur, confirmé en audience.
- Application du meilleur intérêt des créanciers : Le juge n’est tenu de comparer la situation des créanciers affectés à une hypothèse de cession de l’entreprise que si une offre de reprise sérieuse a été formulée, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
3. Implication et conseils
Cet arrêt confirme plusieurs principes essentiels pour les praticiens du droit des entreprises en difficulté :
- Flexibilité de la priorité absolue : Une dérogation peut être acceptée implicitement par le juge, dès lors que l’administrateur judiciaire présente le plan avec l’accord du débiteur.
- Encadrement du meilleur intérêt des créanciers : La comparaison avec un scénario de cession n’est pertinente que si une offre de reprise réelle a été présentée.
- Sécurisation des plans de redressement : Cet arrêt renforce la possibilité d’imposition d’un plan aux classes dissidentes, sous réserve de respecter les exigences minimales posées par le code de commerce.
Conclusion
Cet arrêt est une décision clé pour les entreprises en difficulté souhaitant mettre en place un plan de continuation. Il confirme que le tribunal peut imposer des abandons de créances à certains créanciers dissidents, sous réserve de respecter un cadre structuré et justifié.
Les entreprises en redressement judiciaire doivent ainsi anticiper et structurer leur plan en tenant compte des équilibres entre les classes de créanciers, tout en veillant à obtenir un soutien majoritaire.
L’absence d’opposition formelle à une dérogation à la règle de priorité absolue peut permettre de rendre le plan plus favorable à la poursuite de l’activité et au maintien des emplois.
Cette décision renforce la capacité des entreprises en difficulté à négocier avec leurs créanciers, en sécurisant juridiquement les mécanismes d’effacement partiel des dettes, dès lors qu’un plan structuré et cohérent est présenté et validé par le tribunal.