Loi de simplification du droit des sociétés – Fusions simplifiées entre sociétés sœurs : le piège fiscal

Fusions simplifiées entre sociétés sœurs : le piège fiscal après l’entrée en vigueur de la loi de simplification du droit des sociétés.

La loi n°2019-744 du 19 juillet 2019 de simplification, de clarification et d’actualisation du droit des sociétés est entrée en vigueur le 21 juillet dernier et contient des dispositions notamment en matière de fusion.

1.   Une simplification des fusions au sein des groupes sur le plan du droit des sociétés

Concernant les sociétés commerciales, elle élargit notamment le régime de la fusion simplifiée aux sociétés sœurs détenues à 100 % par une même société.

Avant l’entrée en vigueur de la loi du 19 juillet 2019, la fusion entre des sociétés sœurs détenues à 100 % impliquait un formalisme important :

  • L’opération de fusion devait être approuvée par les associés de la société absorbante et absorbée ;
  • L’intervention d’un commissaire à la fusion et aux apports étaient nécessaires ;
  • La valorisation de la société absorbante et de la société absorbée étaient nécessaires pour établir la parité d’échange ;
  • Grâce à cette parité d’échange, il convenait de constater une augmentation de capital dans la société absorbante et le cas échéant une prime de fusion.

Ainsi, ces opérations intra-groupes entraînaient des coûts importants pour la société absorbante.

La loi du 19 juillet 2019 a étendu le régime des fusions simplifiées aux opérations de fusion absorption intervenant entre sociétés détenues à 100 % par une autre société et a supprimé la nécessité de réaliser les diligences listées ci-dessous.

Ces modifications attendues sont les bienvenues et pourraient faciliter les restructurations au sein des groupes de sociétés.

2.   Un oubli sur le plan fiscal rendant le dispositif inapplicable à ce stade

Cependant, la loi du 19 juillet 2019 n’a pas modifié l’article du 210-0 A CGI afin d’élargir le régime spécial des fusions à ce nouveau cas de fusion simplifiée.

Pour mémoire, le régime spécial des fusions, permettant une neutralité fiscale de ces opérations, n’est applicable, dans sa rédaction actuelle, qu’en cas :

  • De fusion entraînant une augmentation de capital dans la société absorbante ;
  • De fusion absorption d’une société détenue à 100 % par sa société mère.

Ainsi, la fusion simplifiée de deux sociétés sœurs, qui ne se traduit pas par une augmentation de capital, ne permet pas, en l’état du droit, l’application du régime spécial des fusions et pourrait avoir pour conséquence une imposition des plus-values d’apport chez la société absorbante.

La Direction de la législation fiscale, interrogée par nos soins, a indiqué attendre la mise à jour du règlement comptable sur les opérations de fusions pour statuer sur l’extension ou non du régime spécial des fusions aux opérations de fusions simplifiées entre sociétés sœurs.

Ainsi, et dans l’attente d’une disposition législative ou de tolérance administrative sur ce point, la prudence commande de ne pas mettre en œuvre ce régime de fusion simplifiée.

Pierre GAUCHARD Daisy MARTINEZ

Avocats

Démembrement de l’immobilier et évaluation de l’usufruit : CE 30 septembre 2019

Deux arrêts importants et inédits ont été rendus par le Conseil d’Etat le 30 septembre dernier concernant la méthode d’évaluation d’un usufruit conclu pour une durée fixe.

1.   Intérêts et enjeux de la cession d’usufruit de parts de société civile immobilière semi-transparente

Il convient tout d’abord de rappeler l’intérêt d’une cession de l’usufruit des parts sociales d’une société civile immobilière non soumise à l’impôt sur les sociétés au profit de la société d’exploitation, qui est par hypothèse soumise à l’impôt sur les sociétés (IS).

Ce montage permet de « vivre à l’impôt sur les sociétés et de mourir à l’impôt sur le revenu », c’est-à-dire de bénéficier du régime de l’impôt sur les sociétés pendant la durée de l’usufruit (avec notamment la possibilité d’amortir le bien, ce qui diminue sensiblement la charge fiscale), puis au terme de l’usufruit, en cas de vente, de pouvoir bénéficier des abattements pour durée de détention applicable en matière de plus-value immobilière des particuliers.

La principale problématique de ce montage réside dans l’évaluation de l’usufruit lors du démembrement, avec 2 enjeux à la clé :

  • Le produit constaté ou la valeur vénale de l’usufruit lors de sa cession est taxé entre les mains du ou des cédant(s) selon les règles des revenus fonciers depuis l’introduction le 1er janvier 2013 de l’article 13.5 du Code Général des impôts ;
  • L’actif net de la société ayant acquis l’usufruit peut être rehaussé si la valeur retenue pour la réalisation de l’opération est inférieure à la valeur vénale de l’usufruit et, ce qui occasionne un redressement en matière d’impôt sur les sociétés.

2.   De la bonne méthode d’évaluation de l’usufruit

Dans l’affaire visée par l’arrêt du Conseil d’Etat, le contribuable avait évalué l’usufruit en appliquant purement et simplement le barème de l’article 669 II du Code Général des Impôts en retenant une valeur de 46% de la valeur de la pleine propriété pour une durée de 20 ans.

La société ayant été constituée avec un capital de 1.000 euros, l’usufruit avait donc été évalué à 460 euros.

Dans un arrêt du 15 janvier 2018, la Cour Administrative d’Appel de NANTES avait donné raison à l’administration qui avait retenu une valorisation de 633 k€ en prenant pour base du calcul d’actualisation un loyer net de certaines charges (intérêts d’emprunt, assurances, taxe foncière, impôt sur les sociétés théorique, à l’exception notable du remboursement du capital de l’emprunt).

La Cour Administrative d’Appel avait notamment énoncé que ne pouvait être pris en compte le résultat comptable distribuable et la situation de trésorerie disponible.

Le Conseil d’Etat annule l’arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Nantes en rappelant qu’en cas de démembrement de droits sociaux, « l’usufruitier, conformément à l’article 582 du code civil qui lui accorde la jouissance de toute espèce de fruits, n’a droit qu’aux dividendes distribués ».

 Les juges en concluent que la méthode d’évaluation basée sur les résultats imposables prévisionnels de la société retenue par l’administration est irrégulière, la valeur de l’usufruit ne devant être évaluée que sur la base des distributions prévisionnelles.

Cet arrêt nous semble plus conforme à la réalité juridique et économique du démembrement portant sur des parts sociales.

Il n’en demeure pas moins indispensable de se livrer à une évaluation économique cohérente de l’usufruit des parts sociales.

Ainsi, le contribuable concerné par cette affaire devra certainement faire face à une imposition supplémentaire même si elle sera réduite par rapport à celle ressortant du premier arrêt de la Cour Administrative d’Appel, dans la mesure où la méthode retenue par le contribuable aboutissait à un prix manifestement dérisoire.

La contestation portant sur l’évaluation des droits démembrés devrait nourrir un contentieux important dans les années à venir, l’administration fiscale disposant là d’un motif de redressement plus évident que celui fondé sur l’existence d’un supposé abus de droit.

3.   Une opération en principe exempte d’abus de droit….au moins jusqu’au 1er janvier 2020

La même Cour d’Appel, dans un arrêt du 31 mai 2018 a ainsi écarté l’abus de droit tant au regard de la fictivité que du but exclusivement fiscal dans une affaire où la cession de l’usufruit portait sur le bien immobilier et non sur les parts sociales, en considérant que la cession avait produit « des effets économiques et juridiques distincts de la signature ou la poursuite d’un contrat de bail… ».

Néanmoins, pour les actes réalisés à compter du 1er janvier 2020, rappelons qu’un abus de droit pourra être reconnu dans le cadre de montages ayant un but non plus seulement « exclusivement » mais également « principalement » fiscal.

Il sera nécessaire dans ce cadre de prêter une attention redoublée à la caractérisation de la substance économique et des effets juridiques des opérations mises en œuvre.

Pierre GAUCHARDDaisy MARTINEZ

Avocats 

 

 

 

 

Contrats informatiques : obligation de coopération du client et obligation de conseil du prestataire

Devoir de conseil du prestataire et obligation de coopération du client dans les contrats informatiques.

Par un arrêt du 5 juin dernier[1], la Cour de cassation a eu l’occasion de réaffirmer que le client d’un prestataire informatique est tenu de collaborer avec celui-ci, cette obligation de coopération faisant « nécessairement » partie du champ contractuel.

Dans cette affaire, une société qui diffusait, en particulier, des articles de sports sur internet avait confié la refonte de son site internet à un prestataire informatique. Par la suite, le client refuse de procéder au règlement du solde de la facture du prestataire en raison de prétendues inexécutions contractuelles.

Devant les juridictions du fond, le client sollicitait la résolution du contrat informatique et la restitution des acomptes versés au prestataire. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence[2] refuse de faire droit à ces demandes au motif que le client n’avait pas répondu aux différentes demandes d’informations du prestataire et ce, alors même que les conditions générales de vente de ce dernier imposaient au client de collaborer activement[3].

Dans son pourvoi en cassation, la société cliente soutenait qu’elle n’était pas tenue à cette obligation de collaboration dès lors que le prestataire informatique ne démontrait pas lui avoir transmis les conditions générales de vente litigieuses sur lesquelles la Cour d’appel s’était fondée, de sorte que lesdites CGV ne pouvaient faire partie du périmètre contractuel.

La Cour de cassation rejette le pourvoi au motif que « la conception ou la refonte d’un site Internet exige la participation active du client tenu de fournir au prestataire les informations sans lesquelles celui-ci ne peut mener à bien sa mission, ce dont il résulte que cette collaboration fait nécessairement partie du périmètre contractuel. »

En d’autres termes, pour la Haute juridiction, l’obligation de coopération est inhérente aux contrats informatiques et s’impose, en toutes circonstances, aux parties de sorte qu’il n’est pas nécessaire qu’elle soit expressément stipulée dans les documents contractuels du prestataire informatique.

Si la Cour de cassation ne précise pas le fondement de ce devoir de collaboration, il n’est pas impossible qu’elle fasse, ici, implicitement application de l’article 1194 du Code civil lequel prévoit que « [l]es conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donne à l’obligation d’après sa nature. »[4]

Cet arrêt est l’occasion de rappeler les obligations de conseil et de coopération qui pèsent sur les acteurs des contras informatiques.

1. Les obligations pesant sur les prestataires informatiques

  • L’obligation d’information précontractuelle

Cette obligation figure désormais expressément à l’article 1112-1 alinéa 1er du Code civil qui dispose « celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant – sauf, selon l’alinéa 2, en ce qui concerne « l’estimation de la valeur de la prestation ».

En matière informatique, ce devoir impose au prestataire de fournir au client toutes les informations nécessaires et utiles pour lui permettre de s’engager en toute connaissance de cause et qu’il pouvait, compte tenu de ses compétences en la matière, légitimement ignorer. Il s’agit donc d’un devoir précontractuel d’information circonscrit à des informations portant sur le contenu et le matériel objet du contrat et nécessaire à la bonne compréhension du client.

  • L’obligation de conseil

L’obligation de conseil est, quant à elle, plus exigeante en ce sens que le prestataire se doit de se prononcer sur la solution la mieux adaptée aux besoins de ses clients, voire même de déconseiller à ces derniers les solutions inadéquates. Pour ce faire, il appartient au prestataire de se renseigner et de s’informer sur les besoins et la volonté de ses clients, y compris lorsque ces derniers sont des professionnels.

Il convient de souligner que cette obligation de conseil est de résultat quant à la réalité de la délivrance du conseil[5] mais est, en revanche, de moyen quant à la teneur et à la pertinence des conseils donnés[6]. Dans le premier cas, la responsabilité du prestataire sera engagée par la simple démonstration, par le client, que le conseil ne lui a pas été délivré. Dans le second cas, la responsabilité du prestataire ne sera retenue qu’à la condition que le client démontre une faute de son cocontractant laquelle pourrait être caractérisée par la délivrance d’un conseil erroné.

A titre d’exemple, les juridictions du fond ont pu condamner le prestataire informatique pour manquement à son obligation de conseil :

  • lorsqu’il n’informe pas le client sur les spécificités et limites du produit ou sur la complexité des développements logiciels spécifiques à réaliser et ce, même si le client exerce une activité dans le domaine informatique[7];
  • lorsqu’il n’a pas procédé à une étude suffisante des besoins de son client et lui a fourni des progiciels inadaptés à son activité[8];
  • lorsqu’il n’informe pas son client sur les limites de sa prestation et les fonctionnalités limitées du logiciel vendu[9].

Le devoir de conseil peut également impliquer pour le prestataire une obligation de mise en garde visant à alerter le client sur les dangers que représente l’opération envisagée ainsi que sur les éventuelles contraintes techniques de celle-ci.

2. L’obligation de coopération du client

L’obligation d’information et de conseil du prestataire a pour corollaire une obligation de collaboration et de coopération du client consacrée par la jurisprudence[10] et en vertu de laquelle le client doit fournir au prestataire les moyens nécessaires à la parfaite exécution du contrat informatique.

Pour apprécier la conformité de l’exécution de la prestation informatique, la qualité de la prestation doit être regardée différemment selon que le client a ou non collaboré à son résultat. Si l’exécution n’est pas conforme en raison de l’absence de collaboration du client, cette non-conformité pourra, en principe, ne pas être imputée au prestataire.

Cette obligation de collaboration et de coopération du client intervient au stade de la négociation du contrat mais également pendant l’exécution du contrat.

Ainsi, lors de la négociation du contrat, le client doit notamment recueillir toutes les informations utiles concernant la prestation informatique souhaitée et préciser ses attentes[11], spécifier les objectifs précis à atteindre[12].

Lors de l’exécution du contrat, le client doit faire preuve d’une implication suffisante dans la réalisation de l’opération informatique, indiquer les spécificités de fonctionnement de son entreprise[13] ou mettre en mesure le prestataire de respecter les délais contractuellement prévus[14].

 

Reste que le degré d’intensité de l’obligation d’information du prestataire et de l’obligation de coopération du client variera en fonction des connaissances et des compétences de ce dernier.

En effet, lorsque le client est considéré comme profane en informatique ne disposant d’aucune compétence en la matière, l’obligation d’information du prestataire sera renforcée et l’obligation de coopération, quant à elle, atténuée[15].

S’il résulte de l’arrêt commenté que l’obligation de coopération s’impose au client, nous conseillons toutefois aux prestataires informatiques de rappeler systématiquement à leurs clients l’obligation générale de collaboration dont ils sont débiteurs mais également, de préciser les contours et l’intensité de cette obligation afin d’éviter d’éventuelles difficultés qui pourraient survenir dans l’exécution du contrat.

A titre d’exemple, il peut être demandé au client de fournir tout document nécessaire à la parfaite compréhension de ses besoins par le prestataire, de désigner un interlocuteur privilégié, d’assurer au prestataire un libre accès à ses locaux nécessaire à la bonne exécution du contrat, de participer de manière active à l’élaboration du projet informatique et surtout de participer à l’élaboration d’un cahier des charges précis.

Le cabinet peut vous accompagner dans la rédaction de vos contrats informatiques.

Morgane LE LUHERNEThomas ZANITTI

Avocats – Département Droit économique – Droit de l’informatique

 

[1] Cass. Com, 5 juin 2019, n°17-26.230

[2] CA Aix-en-Provence, 22 juin 2017, RG n°14/15881

[3] L’article 5 des conditions générales de vente du prestataire était rédigé ainsi : « Il collaborera avec le prestataire en vue d’assurer la bonne exécution du contrat, notamment en y allouant les moyens et le personnel nécessaire en répondant promptement aux interrogations du prestataire. ».

[4] Contrats Concurrence Consommation, n°10, octobre 2019 n°150

[5] Cass 1ère civ, 25 février 1997, n°94-19.685

[6] Cass. Com, 17 décembre 1991, n°90-13.557

[7] CA Paris, 17 novembre 2017, RG n°15/20024

[8] CA Limoges, 21 décembre 2015, RG n°14/01136

[9] CA Paris, 16 octobre 2015, RG n°13/06759

[10] Cass. Com, 11 janvier 1994, n°91-17.542

[11] CA Pau, 8 juin 1994, RG n°93/1324 : Le client doit s’impliquer, assumer et dialoguer avec le prestataire

[12] Cass. Com, 7 janvier 1997, n°94-16.558

[13] Cass. Com, 10 janvier 2018, n°16-23.790

[14] CA Aix-en-Provence, 2 mars 2017, RG n°13/22835

[15] Cass. Com,  19 février 2002, n°99-15.722