Diffamation publique :  retour sur les critères constitutifs de ce délit de presse

Diffamation publique :  retour sur les critères constitutifs de ce délit de presse

La Cour de cassation dans un arrêt du 26 mai dernier (Crim., 26 mai 2021, n°20-80.884), a précisé les conditions dans lesquelles un prévenu peut présenter sa défense lorsqu’il est poursuivi pour des faits de diffamation publique envers un particulier. La Cour de cassation rappelle donc que les propos, pour être qualifiés de diffamatoires, doivent renfermer l’allégation d’un fait précis.

Cet arrêt nous semble être l’occasion de revenir sur les contours du délit de diffamation publique, et les moyens de défense susceptibles d’être soulevés pour échapper à une condamnation.

La diffamation est un délit de presse prévu et réprimé par la Loi du 29 juillet 1881, laquelle impose un cadre procédural extrêmement strict qui déroge pour l’essentiel au droit commun. La liberté de la presse est ainsi garantie grâce à un formalisme particulièrement contraignant pour le plaignant. L’on citera à titre d’exemple le délai de prescription de 3 mois, délai couperet extrêmement court, au-delà duquel il est impossible d’engager des poursuites devant les juridictions pénales ou civiles, et qui commence à courir le jour de l’acte de publication du contenu.

La loi sur la liberté de la presse prohibe notamment la diffusion de fausses nouvelles (art.27), la diffusion d’images interdites (art.35 ter), ainsi que la diffamation et l’injure envers les particuliers et les personnes protégées.

En effet, le délit de diffamation est défini à l’article 29 de la Loi de 1881 qui dispose : « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés. »

Les critères ainsi posés par la loi sont cumulativement :

  • L’allégation d’un fait précis, c’est-à-dire le fait de reprocher à quelqu’un d’avoir fait quelque chose ;
  • Le reproche doit porter atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne visée dans la publication,
  • Ladite personne doit être identifiée ou identifiable ;
  • Et enfin, le propos doit avoir été tenu sciemment.

Lorsque l’ensemble de ces conditions sont réunies, la poursuite pour diffamation est susceptible de prospérer, sauf à rapporter la preuve que les propos sont exacts, on parle alors d’excuse de vérité, ou encore que l’auteur des propos a agi de bonne foi, c’est-à-dire après avoir vérifié les informations, sans avoir de conflit personnel avec la personne visée, tout en employant des termes modérés, et dans un but légitime, le plus souvent d’information au public.

L’excuse de vérité est soumise à un formalisme particulier, fixé à l’article 55 de la Loi du 29 juillet 1881, qui impose au prévenu de procéder à « une offre de preuve » (de la vérité), par le biais d’une signification soit au ministère, soit à la partie civile, dans un délai de 10 jours après la citation devant le tribunal correctionnel, des faits desquels il entend prouver la réalité, de la copie des pièces et du nom des témoins qu’il souhaite faire entendre pour en apporter la preuve. A défaut de respecter la procédure de l’offre de preuve, le prévenu ne pourra pas s’en prévaloir devant la juridiction, comme étant déchu du droit d’administrer cette preuve (Crim., 17 mars 1981, n°79-93.291).

Le 26 mai 2021, la Cour de cassation est venue apporter des précisions sur l’offre de preuve, et a rappelé une jurisprudence ancienne selon laquelle les juges doivent apprécier en toutes circonstances le sens et la portée des propos incriminés, y compris à partir d’éléments extrinsèques aux propos eux-mêmes, afin de déterminer s’ils présentent un caractère diffamatoire (Crim., 27 juill. 1982, n°81-90.901).

Mais, quels étaient les faits à l’origine de cette affaire ?

La société France Télévisions, en sa qualité de civilement responsable, et sa directrice de publication ont été citées à comparaître devant le Tribunal correctionnel pour répondre des faits de diffamation publique envers un particulier à la requête d’une société, compte tenu des propos diffusés le 3 juillet 2018 dans l’édition du 19/20 région Ile-de-France du journal de France 3 : « mais d’abord des gardiennes d’immeubles et leurs enfants bientôt jetés à la rue, ça se passe dans le 17ème arrondissement. Les trois femmes ont été licenciées par le nouveau propriétaire des lieux qui veut récupérer les loges à son profit » et « elle et sa famille seront à la rue après l’été ».

La directrice de publication a été reconnue coupable et la société France Télévisions condamnée à indemniser le préjudice subséquent par le Tribunal correctionnel. L’affaire a ensuite été évoquée devant la Cour d’appel de Versailles, chacune des parties ayant fait appel de la décision. Selon un arrêt en date du 7 janvier 2020, la Cour a débouté la partie civile de ses demandes après avoir relaxé la directrice de la publication du chef de diffamation publique. En effet, les juges de la Cour d’appel avaient considéré que la seconde expression des propos visés dans la citation, à savoir « elle et sa famille seront à la rue après l’été », était trop imprécise pour caractériser la diffamation, qui suppose et nécessite l’allégation d’un fait précis.

La partie civile a donc formé un pourvoi à l’encontre de cet arrêt, considérant que :

  • Le prévenu ayant usé de la faculté de l’offre de preuve de vérité, ne pouvait plus à titre principal opposer l’absence d’imputation d’un fait précis pour disqualifier la poursuite ;
  • Il appartenait aux juges du fond d’apprécier le caractère diffamatoire des propos à partir d’éléments extrinsèques à ceux-ci, ce qui n’avait pas été le cas.

Le demandeur au pourvoi a obtenu la cassation partielle de l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles, seulement en ce qui concerne « les dispositions ayant débouté la partie civile de ses demandes au titre de la formule « elle et sa famille seront à la rue après l’été » », et la Cour de cassation a renvoyé l’affaire devant la Cour de renvoi afin qu’il soit statué sur le caractère diffamatoire ou non de cette phrase.

La Cour de cassation a tout d’abord admis le raisonnement de la Cour d’appel s’agissant de l’argumentation de la défense de la prévenue. En effet, au regard du sacro-saint principe des droits de la défense, la Cour de cassation a admis que l’excuse de vérité est un moyen de défense subsidiaire, à celui consistant dans la contestation des éléments constitutifs du délit de diffamation, qui suppose nécessairement un examen préalable. En effet, toute juridiction pénale avant d’entrer en voie de condamnation doit procéder à une triple vérification :

  • Présence de l’élément légal du délit : la loi réprime-t-elle effectivement les faits objets de la poursuite ?
  • Présence de l’élément moral de l’infraction : le prévenu avait- il bien l’intention de la commettre ?
  • Présence de l’élément matériel : les éléments constitutifs du délit sont-ils réunis ?

A défaut de réponse positive à chacune de ces trois questions, aucune condamnation n’est possible, et le prévenu doit être relaxé.

En conséquence, il est tout à fait opportun que le prévenu puisse contester la réalité même du délit reproché en ces éléments constitutifs, avant de pouvoir se défendre en arguant du caractère véridique des propos diffusés, et qu’un débat contradictoire intervienne, dans un second temps, sur cette question au cours de l’audience.

La Cour de cassation a donc rejeté l’argument de la société ayant formé le pourvoi, et jugé dans son arrêt du 26 mai 2021 que :

13. Il doit donc désormais être jugé que le prévenu qui a offert de prouver la vérité des faits diffamatoires conformément aux articles 35 et 55 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la      presse reste recevable à soutenir, lors des débats au fond, que les propos poursuivis ne renferment pas l’imputation ou l’allégation d’un fait précis, susceptible de faire l’objet d’un débat sur la preuve de sa vérité.

14. Il en résulte que, saisis de l’argumentation de la prévenue qui, après avoir fait délivrer une offre de preuve, soutenait notamment que le second propos poursuivi était trop lapidaire pour contenir l’imputation d’un fait précis, les juges, qui devaient en tout état de cause apprécier le sens et la portée dudit propos afin de déterminer s’il caractérisait ou non la diffamation poursuivie, n’avaient pas à la déclarer irrecevable.

15. Le grief doit être écarté. »

La logique de la Cour de cassation apparaît implacable et conforme aux intérêts de la défense.

Toutefois, quant au second motif du pourvoi, elle a considéré que les juges du fond n’avaient pas suffisamment motivé leur décision. En effet, elle relève que la Cour pour débouter la partie civile de ses demandes, a retenu que l’expression « elle et sa famille seront à la rue après l’été » est trop imprécise pour constituer une diffamation laquelle se définit comme une imputation d’un fait précis, à une personne déterminée et susceptible, sans difficulté, d’un débat contradictoire.

La Cour de cassation a rappelé le rôle des juges du fond dans l’appréciation des faits soumis, et repris sa jurisprudence désormais ancienne selon laquelle il appartient aux juges d’apprécier le caractère diffamatoire des propos poursuivis en se fondant sur toutes les circonstances, même extrinsèques au passage considéré. La publication sera ainsi sanctionnée si elle porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne visée, dont l’atteinte est caractérisée par les propos eux-mêmes mais également au contexte dans lesquels ils s’inscrivent. Un tribunal a exposé ainsi ses deux notions : « l’honneur consiste à n’avoir en conscience rien à se reprocher qui soit contraire à la morale, alors que la considération est liée à l’estime publique puisqu’elle dépend de l’idée que les autres se font d’une personne » (T. corr. Versailles, 5e ch., 17 janv. 1985).

Il est ainsi rappelé qu’il convient d’apprécier de manière objective la portée des propos et leur caractère ou non diffamatoire, sans se contenter de la syntaxe ou du vocabulaire employés. La Cour de cassation casse donc l’arrêt sur cette question de l’appréciation du « fait précis » et de son atteinte à l’honneur.

Série à suivre, puisque la Cour d’appel de renvoi désignée par la Cour de cassation aura à se prononcer, dans les prochains mois, sur l’existence ou non de l’appréciation du trouble à l’ordre public social résultant la publication.

La suite au prochain épisode sur France Télévisions !

Stéphane BAIKOFF

Avocate Associée